A Djibouti, des moustiques génétiquement modifiés pour enrayer le paludisme – Confrontées à une flambée de paludisme sans précédent, les autorités de Djibouti expérimentent une nouvelle arme : un moustique disposant d’un gène modifié qui empêche les progénitures femelles, qui propagent la maladie, d’atteindre l’âge adulte.
Ce programme pilote vise à endiguer l’émergence d’une espèce résistante aux insecticides nommée Anopheles stephensi, arrivée d’Asie et qui prospère dans les zones urbaines d’Afrique de l’Est.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), elle est présente dans huit pays africains et est responsable d’une hausse sans précédent des cas de paludisme en Éthiopie, deuxième pays le plus peuplé d’Afrique, et à Djibouti, où elle a été détectée pour la première fois en 2012.
En 2019, le conseiller à la santé de la présidence de ce petit pays de la Corne de l’Afrique, Abdoulilah Ahmed Abdi, a eu vent d’une innovation utilisée principalement au Brésil pour lutter contre la dengue.
Le gouvernement avait recours à un moustique mâle génétiquement modifié, créé par la société britannique de biotechnologie Oxitec, porteur d’une protéine empêchant la survie de sa progéniture femelle de survivre jusqu’à l’âge adulte.
Les maladies comme la dengue et le paludisme sont transmises par les femelles moustiques, seules à piquer.
En mai, Djibouti a lancé un programme similaire en lâchant 40 000 moustiques Anopheles stephensi génétiquement modifiés. Depuis le 6 octobre et jusqu’en avril, il en relâchera toutes les semaines.
« Pour toute l’Afrique »
« Nous essayons de trouver, avec notre partenaire Oxitec, une solution innovante et durable qui pourrait avoir un impact sur toute la région et le continent en général », affirme Abdoulilah Ahmed Abdi : « Nous en sommes très fiers. C’est une initiative pour toute l’Afrique ».
Les résultats de cette expérimentation sont attendus en mi-2025, et Djibouti entend construire une usine pour produire ces moustiques destinés au continent.
Oxitec a relâché plus d’un milliard de moustiques génétiquement modifiés au Brésil et en Floride (États-Unis), où il cible le moustique Aedes aegypti, vecteur de la dengue. Ses études indiquent qu’il peut réduire les populations de moustiques d’au moins 90%.
« Il n’y a rien de mieux que le moustique mâle pour trouver la femelle moustique qui transmet les maladies », résume Neil Morrison, directeur de la stratégie à Oxitec.
Le programme à Djibouti en est encore à un stade pilote. « Au début de l’année prochaine, nous commencerons à déterminer combien de moustiques nous devons relâcher pour obtenir une suppression efficace », explique M. Morrison.
Efficacité en question
Mais l’usage de ces moustiques génétiquement modifiés suscitent l’indignation d’organisations de protection de l’environnement.
Dans un rapport de 2019, l’ONG GeneWatch UK a averti que cette technologie risquait de modifier, de manière potentiellement dangereuse, l’évolution des moustiques et la manière dont les maladies se propagent.
Le document remettait également en question l’efficacité de la méthode, estimant que des femelles pourraient se trouver parmi les mâles relâchés ou mener à ce que les moustiques sauvages migrent vers des régions voisines.
Oxitec assure que son moustique génétiquement modifié est « complètement inoffensif et non toxique » et que les régulateurs l’ont autorisé à être déployé aux États-Unis en 2022.
Mais si les insectes doivent être relâchés en continu pour être efficaces, la question du coût se pose — sujet non négligeable en Afrique, où se concentrent 95% des quelque 600 000 décès dus au paludisme chaque année.
Oxitec a refusé de dévoiler le prix.
Les experts adoptent une approche attentiste.
« Nous soutenons fortement l’innovation », affirme Dorothy Achu, responsable pour l’Afrique des maladies tropicales et à tranmission vectorielle à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), soulignant que son organisation travaille à élaborer un cadre pour mesurer l’impact des méthodes génétiquement modifiées.
« Les premiers résultats sont très prometteurs », affirme-t-elle : « Mais nous avons besoin de solutions durables ».
Avec AFP