Au Sénégal, « la mort ne fait plus peur »

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« C’était une catastrophe. C’était extrêmement difficile à vivre », se souvient Bakary Diémé.

Le jeune homme, responsable d’une association de prévention des dangers de la migration clandestine, rappelle qu’en septembre, sa ville de Mbour, à une centaine de kilomètres au sud de Dakar, a été le théâtre d’un naufrage meurtrier. Au moins 39 personnes sont mortes dans l’accident de leur pirogue de bois.

Comme le font chaque année des milliers de jeunes sénégalais, mais aussi des jeunes venus d’autres pays africains, ils voulaient rejoindre les îles Canaries, territoire appartenant à l’Espagne qui se trouve à 1500 km des côtes sénégalaises.

Même au lendemain de ce naufrage, qui a été une catastrophe, il y a des jeunes qui ont repris des pirogues. Aujourd’hui, la mort ne fait plus peur. C’est le désir de réussir qui prend le dessus sur ce ressenti-là de la mort.

Une citation de Bakary Diémé

Un jeune homme en train de réparer une pirogue, à Fass Boye, au SénégalPhoto : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair.

Mbour n’est pas la seule ville sénégalaise endeuillée après un tel naufrage. L’an dernier, plus de 60 personnes ont péri au large du Cap-Vert après avoir quitté le village de Fass Boye, au nord de Dakar.

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Leurs proches n’avaient pas eu de nouvelles pendant des semaines, se souvient Pape Diop Wallo, dont le fils de 22 ans est mort dans la tragédie.

Non seulement cet ancien pêcheur était au courant du projet de migration de son fils, mais en outre, il lui avait donné sa bénédiction. J’étais emballé qu’il parte pour pouvoir m’aider, parce qu’ici, il n’y a rien, explique-t-il.

Cette communauté de pêcheurs peine à rivaliser avec la compétition étrangère et la pêche illégale pratiquée le long des côtes du Sénégal.

Tu achètes du carburant, tu vas en mer et tu reviens les mains vides, sans pouvoir payer ton essence, déplore Alé, âgé de 31 ans. Comme bien d’autres ici, il aimerait se rendre en Europe, bien qu’il dise ne pas avoir suffisamment de courage pour entreprendre ce long voyage de plusieurs jours en pleine mer.

Alé, pêcheur de 31 ans, déplore un manque de poisson dans la mer. Comme plusieurs jeunes, il rêve d’Europe. Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair.

Affronter le mythe de l’eldorado européen

Alé n’est pas seul à rêver d’Europe. Sur la plage de Fass Boye, de nombreux jeunes ont déjà tenté d’atteindre le continent à quelques reprises. Si certains ont réussi, d’autres ont été interceptés, ou refoulés.

L’armée sénégalaise dispose de plusieurs navires, dont certains ont été acquis récemment, qui patrouillent la mer pour intercepter les pirogues ou secourir les migrants dans le besoin. L’an dernier, plus de 9500 personnes venues du Sénégal ou d’autres pays africains ont été ramenées sur la terre ferme. Plus de 5500 ont été interceptées jusqu’à présent cette année.

Le Sénégal dispose de plusieurs navires pour patrouiller en mer et intercepter des pirogues transportant des migrants. Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair.

Lors de notre visite au centre de commandement de la marine, à Dakar, une opération est en préparation, puisqu’une pirogue a été détectée au large des côtes sud du pays.

La pirogue n’est pas un moyen de transport sûr pour aller vers les îles Canaries, c’est une évidence. Même si les migrants se mettent volontairement dans cette situation, il est de la responsabilité de l’État de les en sortir.

Une citation de Ibril Jawawa, capitaine de vaisseau

En plus d’investissements importants du gouvernement, le Sénégal peut compter sur l’appui de pays européens. En octobre, Bruxelles a annoncé une enveloppe de 30 millions d’euros (44,5 millions de dollars canadiens) pour lutter contre la migration clandestine.

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Souleymane Diallo, président de l’organisme Otra Africa et expert des questions migratoires, doute que les politiques sécuritaires prônées par l’Europe soient réellement en mesure d’endiguer l’afflux de jeunes africains prêts à tout pour atteindre le continent

Même si on injecte des milliards dans les systèmes de sécurité et de défense, on ne peut pas arrêter la mer avec ses bras, affirme-t-il. On va trouver d’autres manières de migration, de toute façon, les gens vont partir.

Des pirogues entreposées sur la plage de Fass Boye, au SénégalPhoto : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair.

Cet homme, qui a lui-même déjà vécu de manière régulière en Espagne, dénonce la difficulté à laquelle les Sénégalais font face pour entrer de manière légale en Europe, ce qui pousse, selon lui, beaucoup de jeunes vers les routes clandestines.

Un rêve européen qui se heurte souvent à une tout autre réalité. Ils vont arriver là-bas dans des conditions extrêmement difficiles, dans les rues, déplore Souleymane Diallo. Au Sénégal, où le taux de chômage chez les jeunes dépasse les 34 %, il croit qu’il faut leur permettre d’avoir une bonne vie en restant dans leur pays.

Le nouveau gouvernement du président Bassirou Diomalye Faye, élu en mars, assure non seulement qu’il lutte contre les passeurs, mais qu’il s’attaque également aux racines du problème.

Amadou Chérif Diouf, secrétaire d’État des Sénégalais de l’Extérieur, promet des changements pour garder les jeunes au pays. Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair.

En entrevue à Radio-Canada, le secrétaire d’État des Sénégalais de l’Extérieur, Amadou Chérif Diouf, donne l’exemple de l’industrie de la pêche, dont dépendraient directement 50 000 Sénégalais, et qui fait face à d’importantes difficultés. Ce pays a été exploité, nos ressources ont été exploitées, dit-il, promettant que son gouvernement renégociera bientôt les traités avec les pays européens.

Un peuple qui se respecte, un peuple qui s’aime, ne devrait pas laisser ses enfants mourir de cette manière. Et cette jeunesse-là a besoin de retrouver sa dignité.

Une citation de Amadou Chérif Diouf, secrétaire d’État des Sénégalais de l’étranger

Dans un appartement de Thiaroye-sur-Mer, en banlieue de Dakar, Yayou Bayam espère que ces promesses se concrétiseront. Son fils Alioune est mort en mer en 2006. Depuis, elle est devenue présidente du Collectif des femmes pour la lutte contre l’immigration clandestine.

Yayou Bayam organise plusieurs activités pour militer contre la migration clandestine et faire la promotion de la création d’emploi au Sénégal.Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair.

Avec son groupe, elle multiplie les initiatives commerciales, telles que la vente de poisson séché, pour montrer aux jeunes que des débouchés sont possibles au pays.

Près de 20 ans après la mort de son fils, dont elle n’a jamais pu voir le corps, cette militante constate avec regret que le problème est loin d’être réglé. Les jeunes ont espoir, mais les pirogues partent toujours, laisse tomber la mère endeuillée.

Les militants contre la migration clandestine comme elle savent qu’ils font toujours face à une tâche immense.

Des jeunes jouent au soccer sur la plage de Ngor, à Dakar, au Sénégal. Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair.

Devant l’édifice où nous nous rencontrons, des enfants jouent au soccer. Lorsqu’on leur pose la question, certains, âgés de moins de 10 ans, confirment qu’ils aimeraient un jour se rendre en Europe. C’est pour aider ma mère, dit l’un d’eux.

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