par Rémy Verlyck
15 novembre 2024
États-Unis – Politique intérieure
Selon une étude publiée en octobre 2024 dans Journal of Marriage and Family (« Youth’s political identity and fertility desires« ), une des publications du National Council on Family Relations (NCFR), l’identité politique des jeunes Américains donne lieu à l’expression d’idéaux familiaux différents. Pour être plus précis, si jeunes Républicains et jeunes Démocrates n’ont jamais exprimé des désirs de fertilité similaires, l’écart entre eux n’a jamais cessé de croître, et il n’a jamais été aussi important. Une expression de la polarisation de la société américaine, telle qu’évoquée par de nombreux observateurs en cette année électorale.
C’est l’objet d’étude de Heather Rackin, de la Louisiana State University, et Christina Gibson-Davis, de l’Université Duke. Les deux chercheures ont mis en lumière l’importance grandissante de l’identité politique des jeunes Américains en tant qu’élément déterminant de leurs désirs de fertilité. Si de nombreuses études ont déjà analysé l’influence de facteurs tels que le statut socio-économique, l’affiliation religieuse, ou la répartition genrée des rôles au sein du couple sur les choix de fécondité, la dimension spécifique de l’identité politique n’avait jusque-là été que peu étudiée.
Pour mieux comprendre les désirs de fécondité des jeunes adultes américains et identifier les différences entre Républicains et Démocrates, les deux universitaires ont passé au crible des données recueillies auprès de plus de 67 000 personnes âgées de 18 ans sur une période allant de 1989 à 2019. Résultats ? Sur l’ensemble de la période analysée et en moyenne, les jeunes Républicains souhaitaient avoir 2,56 enfants, contre 2,44 pour les jeunes Démocrates.
Cependant, cet écart n’a cessé de croître : le différentiel est passé de 0,06 dans les premières années de l’étude à 0,20 dans la période finale. Sans grande surprise, il en ressort qu’il est beaucoup plus probable que les Républicains désirent avoir une famille de quatre enfants ou plus, et que les Démocrates désirent une famille à la taille plus réduite, voire pas d’enfants du tout. Dans cette dynamique, 2003 est identifiée comme année charnière. Auparavant, si les désirs de fécondité moyens étaient plutôt proches, c’était plutôt la probabilité de désirer une grande ou une petite famille qui différenciait les deux camps.
Dans leur analyse, les chercheurs ont identifié un facteur religieux propre à la culture américaine : les Républicains sont en moyenne plus religieux que les Démocrates, plus favorables aux rôles genrés traditionnels au sein du couple parental, et sont plus susceptibles de faire de la fondation d’une famille une priorité. Cependant, une fois ces facteurs ajustés, l’identité politique seule semble désormais constituer un élément capable de prédire les désirs de fécondité des individus. Cette identité serait peut-être même devenue plus déterminante que la religiosité.
Pour les auteures de l’étude, celle-ci met en lumière une corrélation, et non une causalité. C’est pour elles une vision du monde globale qui conduit les individus à choisir une affiliation politique et adopter un mode de vie spécifique. Selon elles, davantage d’études sont nécessaires sur d’autres éléments clés, tels que la perception du changement climatique ou la confiance dans l’avenir.
S’il est intéressant d’analyser cet écart pour ce qu’il illustre de la polarisation de la société américaine, il faut noter que les désirs de fécondité exprimés à la fin de l’adolescence ont une influence limitée sur les comportements réels de fécondité. Alors que l’âge moyen d’accès à la parentalité est atteint environ une décennie plus tard, le comportement de fécondité sera nécessairement contraint par des réalités diverses, qu’elles soient biologiques, économiques ou affectives.
Ainsi, alors que le désir de fécondité américain est supérieur à celui des Français (2,27 selon la dernière étude de l’UNAF), et alors que l’âge moyen à la première grossesse aux États-Unis est de 27 ans, contre 29,1 ans en France en 2021, l’indicateur conjoncturel de fécondité outre-Atlantique n’a pourtant cessé de décroître pour atteindre un niveau historique de 1,67 enfant par femme en 2022, contre 1,79 en France. Si aucun des deux pays n’atteint le seuil de renouvellement des générations, ils demeurent néanmoins dans le haut du classement des pays développés.
Pour un tableau complet de la situation, d’importantes disparités sont à prendre en compte. Aux États-Unis, aucune loi fédérale ne prévoit l’existence d’un congé de maternité rémunéré, laissant cette compétence décisionnelle aux États. Dans les faits, seule une minorité d’entre eux a mis en place un congé maternité rémunéré. Les États-Unis sont le seul pays de l’OCDE sans congé de maternité rémunéré généralisé.
Cela n’empêche pas les Américains de prévoir une croissance continue de leur population, notamment grâce à l’apport démographique issu de flux migratoires. Une exception notable, alors qu’aujourd’hui déjà, 60% de la population mondiale n’atteint pas le seuil de renouvellement des générations ; et que les projections démographiques de l’ONU envisagent que la majorité des pays occidentaux devraient être confrontés à une réduction de leur population.
Les États-Unis comptent aujourd’hui 335 millions d’habitants, un chiffre qui devrait atteindre 366 millions en 2100. À cette date, la population mondiale devrait atteindre 11,2 milliards d’humains ; cette croissance permise par l’effet moteurs de quelques pays comme le Nigeria, dont la population devrait dépasser celle des États-Unis à horizon 2050, ou encore comme l’Égypte, l’Inde ou le Pakistan, véritables poches de croissance démographique dans un monde vieillissant.
Plus que jamais auparavant, l’identité politique et la vision du monde qui lui est attachée semblent induire des désirs de fertilité différents. Un sujet sensible qui, touchant au plus intime, au plus personnel, mais ayant des répercussions sur le corps social et son organisation, mérite certainement une attention respectueuse des libertés individuelles.
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