ENTRETIEN. La COP29 de Bakou entre dans sa deuxième semaine. Observateur de ces conférences onusiennes depuis plusieurs années, l’explorateur et psychiatre Bertrand Piccard est sur place comme président de la fondation environnementale Solar Impulse. Retour de Donald Trump, aide financière aux pays pauvres, rentabilité de la transition climatique, ce fervent adepte d’une écologie des solutions aborde plusieurs sujets clés dans cette interview.
LA TRIBUNE. On commence la deuxième semaine de la COP29, quel est votre premier sentiment ?
BERTRAND PICCARD. A la fin de la première semaine, on a souvent l’impression que tout est bloqué. Mais en général, les choses commencent à bouger au bout de la deuxième semaine parce que les participants ont la pression pour arriver à un résultat. Par ailleurs, on voit bien que les négociations continuent d’achopper sur cette question centrale : qui va aider qui pour s’adapter au dérèglement climatique ?
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Les pays en voie développement, qui sont les plus impactés par ses effets, demandent aux pays riches, responsables historiques du changement du climat, de contribuer davantage. Et ces derniers demandent de leurs côtés aux pays émergents, devenus très riches en quelques décennies, comme la Chine ou les pays du Golfe, de mettre la main au porte-monnaie. Tout ceci crée une vraie tension, il est vrai.
Comment débloquer la situation ?
Si on prend un peu de recul, on se rend compte qu’il y a de l’argent. Pour le débloquer plus rapidement, il faut sortir d’une logique « bourreau-victime », et aller vers un partenariat entre régions du globe. Lorsqu’on regarde bien, de nombreuses mesures à prendre en matière d’atténuation des émissions de CO2 sont économiquement rentables. Tout particulièrement les énergies renouvelables, qui sont la clé de cette transition et deviennent moins onéreuses que les énergies fossiles. Faire des économies d’énergie est aussi intéressant financièrement. On ne le dit pas assez, et cette année à la COP29, je constate qu’on en parle davantage.
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Les investisseurs privés doivent plus prendre conscience de cela, notamment lorsqu’ils réfléchissent à investir dans les pays en voie de développement. Quand on investit dans un pays avec peu d’infrastructures énergétiques, avec du renouvelable local et décentralisé, on stimule l’économie locale, et par voie de conséquence, on développe l’éducation et la santé. C’est économiquement rentable. Fort de cette situation, l’idée de fusionner davantage l’aide publique au développement et les investissements privés semble être le chemin à emprunter pour la finance climatique.
Pensez-vous que l’efficacité de l’action climatique passera plus par les solutions technologiques, plus de sobriété, ou un dosage des deux ?
Très clairement, ce n’est pas la technologie qui sauvera le monde ! C’est ce qu’on en fait qui fait la différence. Et surtout, il ne faut pas attendre la technologie du futur pour opérer la transition, il faut utiliser celle qu’on connaît déjà. Parce que finalement ça devient un alibi pour ne rien faire… Je pense que c’est le bon sens qui changera le monde.
Quelques exemples : on peut déjà réabsorber la chaleur perdue dans les cheminées d’usines et la redistribuer, on peut chauffer des villes grâce à la chaleur des data centers, on peut utiliser les déchets non recyclables pour les transformer en pierres de construction, on sait fabriquer du ciment décarboné aujourd’hui, etc.
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Dans le débat actuel, on entend parler de décroissance économique. Que cet horizon soit juste ou pas, je pense personnellement que celui-ci va décourager et repousser une grande partie des acteurs politiques, industriels, économiques et financiers, et même une partie de la population. Alors que si on parle d’efficience, qu’on dit tout ce qu’on peut faire, en mieux, et ce, de manière rentable, on aura plus d’alliés pour l’action climatique.
Après, il faut aussi de la sobriété dans le sens qu’il faut lutter contre la démesure. J’appelle plutôt cette démarche d’économie qualitative, qui doit remplacer l’économie quantitative actuelle. C’est-à-dire qu’on vend le plus possible, à un prix de plus en plus bas, avec des marges bénéficiaires minimes, des salaires lamentablement bas, et des inégalités sociales. Avec, en bout de course, du gaspillage, de la pollution et des émissions de CO2. Avec l’économie qualitative, on entrera dans une économie circulaire, qui va créer beaucoup plus d’emplois. Cet horizon est une nouvelle opportunité économique.
Le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis rebat les cartes de la diplomatie climatique. Cela vous inquiète-t-il ?
Ce qui m’inquiète surtout, c’est que le bloc occidental est morcelé et minorisé. Et il faut vraiment qu’on comprenne que celui-ci est de moins en moins la référence mondiale. Et peut-être qu’on a eu un peu trop d’arrogance vis-à-vis des pays, qui autrefois se sentaient exploités par l’Occident, et qui sont beaucoup plus riches que nous. Je pense à la Chine par exemple. Ces Etats veulent prendre le leadership, c’est une réalité.
Quant à Donald Trump, je pense que c’est un cas particulier du monde occidental. Avec son retour à la Maison Blanche, la question qu’il faut se poser est la suivante : est-ce qu’il va agir par idéologie ou réalisme ? S’il conserve l’IRA (Inflation Reduction Act), bénéfique pour la transition énergétique des USA, et dont 80 % des aides financières sont attribuées à des États républicains, c’est le réalisme qui prévaut.
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Donald Trump a promis de sortir de nouveau de l’accord de Paris pour le climat. Mais s’il écoute vraiment le PDG d’Exxon Mobil, qui lui dit que l’industrie pétrolière américaine a déjà beaucoup investi dans la décarbonation, via des investissements dans les ENR, peut-être qu’il changera d’avis. S’il annule les lois environnementales, il va se rendre compte que cela va coûter beaucoup plus cher à la santé publique des Américains. Par conséquent, je ne vois pas comment Trump peut annuler, juste par idéologie, des mesures qui sont fondamentalement utiles aux Etats-Unis. Mais nous verrons. Il y a des dirigeants qui sont irrationnels, et qui font l’inverse de ce qui est bon pour leur pays.
Vous êtes un observateur des COP depuis plusieurs années, constatez-vous une accélération de l’action climatique, ou un ralentissement ?
Malheureusement, on est toujours aussi lent… Avec l’accord de Paris pour le climat en 2015 (COP21), l’objectif était que le monde fasse 3,5 % de baisse d’émissions de CO2 par an. Mais comme on n’a pas fait assez depuis neuf ans, eh bien, il faut faire désormais baisser de 7,6 % nos émissions annuelles. Conséquence : plus on attend, plus l’effort devient grand, et on repousse le problème plus loin.
Malgré cette lenteur, il y a quand même des COP surprenantes. La première COP dans laquelle on a clairement marqué dans la déclaration finale qu’il fallait sortir des énergies fossiles, c’est celle de l’année dernière, la COP28 de Dubaï, dans les Émirats arabes unis, gros producteurs et exportateurs de pétrole. Ceci montre une chose : c’est qu’on doit absolument parler à tout le monde. Et on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise.
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Si, certes, il reste encore beaucoup de pétrole dans le mix énergétique mondial, je pense que la transition ne va pas se faire parce qu’il y a plus de pétrole. En fait, la transition énergétique va se faire parce que c’est moins cher à long terme d’utiliser de l’énergie renouvelable. Le solaire, l’éolien, la géothermie, la biomasse, l’hydroélectricité, c’est rentable dans le temps. Parallèlement, il est nécessaire d’agir sur la baisse de la demande en hydrocarbures. Cet effort-là, il faut l’exiger à nos dirigeants politiques.