Entre inquiétude et espoir, la Santé change de couleur politique

Le CSV prend les rênes du ministère de la Santé, après 20 ans de règne ininterrompu du LSAP. L’AMMD y voit une source d’espoir, quand le LSAP assure vouloir être vigilant face aux risques de libéralisation du système.

Paulette Lenert (LSAP) et Martine Deprez (CSV) lors de la cérémonie de passation de pouvoir au ministère de la Santé, vendredi 17 novembre. © PHOTO: SIP

«Brader le système de santé luxembourgeois serait une faute impardonnable», prévient le député Mars Di Bartolomeo (LSAP) à la lecture du nouvel accord de coalition CSV-DP. Après avoir passé près de 20 ans entre les mains du LSAP, le ministère de la Santé tombe, en effet, dans l’escarcelle du CSV, Martine Deprez récupérant les portefeuilles de la Santé et de la Sécurité sociale.

Une passation de pouvoir que certains acteurs vont regarder avec attention, d’autant que les tensions sont fortes autour des enjeux de la santé et que, lors de la fin de la législature, l’AMMD et le CSV, alors dans l’opposition, ne retenaient plus guère leurs coups à l’encontre du ministère dirigée alors par Paulette Lenert (LSAP).

Ces derniers critiquaient en particulier la stratégie du gouvernement pour pallier les délais d’attente trop longs pour l’accès aux soins. Et reprochaient le retard pris dans la mise en œuvre de la digitalisation du secteur: application dédiée inexistante, dossier de soin partagé ou système informatique des hôpitaux jugés dysfonctionnels, ou encore «Gesondheetsdësch» – la table ronde santé – perçue comme un échec.

Dans le préambule du chapitre sur la santé de l’accord de coalition, le nouveau gouvernement s’engage pour «un système de santé innovant, efficace et accessible, avec un financement durable et transparent» et veut garantir «un accès rapide à des soins de qualité et de proximité», tout en faisant en sorte de rendre «le système de santé plus attractif pour tous les professionnels de la santé».

«La première lecture est plutôt rassurante dans le sens que les problèmes du système de santé se sont quand même pas mal accumulés ces dix ou quinze dernières années», estime le président de l’association des médecins et médecins dentistes (AMMD), Alain Schmit, qui salue «une série de pistes intéressantes», notamment concernant la digitalisation, le virage ambulatoire, la place du médecin traitant, le médecin référent ou encore le financement de l’extra-hospitalier.

La digitalisation est particulièrement bien servie dans l’accord, juge le président de l’AMMD, puisqu’«on retrouve l’importance de ce volet dans quasiment tous les chapitres». En outre, pour faire face à la pénurie de médecins et aux délais d’attente, «le nouveau gouvernement laisse espérer que les patients auront quand même à nouveau un meilleur accès», notamment grâce aux réflexions mises en place pour «attirer de bons médecins dans le pays».

Mars Di Bartolomeo accorde de son côté quelques «bons points» à la nouvelle coalition: il est ainsi judicieux d’avoir réuni à nouveau les ministères de la Santé et de la Sécurité sociale, de ne pas remettre en cause le projet de loi sur l’euthanasie ou de vouloir renforcer la médecine préventive ou le droit aux soins palliatifs.

Mais l’ancien ministre de la Santé (2004-2013) déplore un chapitre bien trop «vague». «À plusieurs reprises, le gouvernement veut se donner une stratégie. Or, si on a besoin de se donner une stratégie, c’est qu’on n’en a pas encore», remarque-t-il. «Et beaucoup d’analyses sont annoncées, ce qui confirme qu’ils n’ont pas de vue précise sur la problématique de la santé».

En outre, ce qui inquiète davantage le député est ce contre quoi le LSAP s’est toujours érigé: la libéralisation de la santé. «En lisant entre les lignes, on va en direction de plus de libéralisation», estime Mars Di Bartolomeo. «Même s’ils affirment renforcer le rôle des hôpitaux, lorsqu’on lit attentivement ce qu’ils veulent faire, c’est en réalité l’affaiblir en permettant à tout un nombre d’activités de sortir hors des hôpitaux.»

L’ancien ministre tient toutefois à préciser la position du LSAP: «Nous n’avons jamais été contre la décentralisation, la revalorisation de la médecine primaire, des soins plus proches pour les patients ou renforcer l’ambulatoire», explique-t-il. «Et si les délais d’attente sont excessifs, alors il faut mettre le paquet, comme on l’a fait avec les IRM, dont on a doublé la quantité en deux ans. Mais si on détruit les fondements d’un système solidaire, on ne réussira plus jamais à les reconstruire», prévient-il.

De la «sémantique», selon Alain Schmit, pour qui le système actuel, orienté vers les hôpitaux, a rendu difficile l’accès à la médecine spécialisée. Celui-ci souhaiterait «maintenir voire améliorer la médecine hospitalière pour les patients qui ont vraiment besoin de soins hospitaliers» tout en déployant «une médecine à l’extérieur de l’hôpital avec des médecins qui, en partie du moins, pourront garder un lien avec l’hôpital. Et pour constituer ce nouveau lien, la chaîne manquante consiste en ces nouvelles sociétés d’exercice libéral», explique Alain Schmit. Un concept vis-à-vis duquel le nouveau gouvernement pourrait se montrer plus ouvert que le précédent.

Mais, à n’en pas douter, l’opposition veillera. «Nous allons les accompagner d’une façon constructive lorsqu’ils seront en ligne avec ce qui a été réalisé ces dernières 20 années et nous sommes tout à fait disposés à améliorer ce qui doit être amélioré», assure Mars Di Bartolomeo. «Mais nous ferons barrage lorsque l’intention sera de brader notre système de santé solidaire», prévient-il.

 

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