Interview. Retour au travail après un cancer du sein : « Il faut éduquer les entreprises et les managers »

Près de 20 % des patientes en rémission de ce cancer ne sont pas de retour au travail deux ans après l’annonce du diagnostic. Comment expliquer cette situation ?

Par

Alexandra Segond

Publié le

17 oct. 2024 à 5h06

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En France, plus de 60 000 femmes sont diagnostiquées d’un cancer du sein chaque année. Et près de 20 % des patientes en rémission de ce cancer ne sont pas de retour au travail deux ans après l’annonce du diagnostic.

Comment expliquer cette situation ? Et comment lever les très nombreux freins du retour au travail ? Répondre à ces questions, c’est le travail de Bertrand Porro, chercheur en psycho-oncologie à l’Institut de cancérologie de l’Ouest (ICO). Entretien.

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80% des femmes reviennent au travail deux ans après un diagnostic

Actu : Cancer du sein et retour au travail, pouvez-vous faire un rapide état des lieux ?

Bertrand Porro : Pour les femmes qui sont en emploi au moment de l’annonce du diagnostic de cancer du sein, environ 75 % d’entre elles sont de retour au travail entre un an et 15 mois après. À 2 ans, environ 80 % sont de retour. Des taux relativement similaires sont observés à 5 ans. Selon l’enquête Vican5 de l’Institut national du cancer (INCa), chez les 18-54 ans qui ont un emploi au moment du diagnostic, 80 % des patientes sont en emploi 5 ans après.

Et les 20% de patients qui restent ?

BP : Il coexiste une multitude de situations. Certaines arrivent à la retraite – l’âge médian d’un cancer du sein étant de 63 ans en France. D’autres prennent leur retraite anticipée. Certaines patientes souffrent d’un cancer de stade avancé, qui se chronicise, rendant d’autant plus difficile le maintien dans la vie professionnelle. Certaines perdent leur emploi. D’autres quittent leur entreprise pour devenir indépendantes.

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Précarité, conditions de travail… Des freins « multiples selon chaque patiente »

Quels sont les freins du retour au travail ?

BP : Ils sont multiples et variables selon chaque patiente. On sait que les personnes qui sont les moins diplômées – et qui se trouvent dans une plus grande précarité sociale et/ou professionnelle, notamment un enchainement de CDD – ont plus de difficultés à retourner au travail. Le cancer accroît les situations de précarité.

Et en dehors de la précarité ?

BP : Les conditions de travail en elles-mêmes comptent aussi pour beaucoup. Trop d’implication physique du travail à accomplir, de mauvais rapports avec le manager, avec les collègues, trop de charge de travail, trop d’implication cognitive, le manque de reconnaissance obtenue jusque-là… Autant de facteurs qui peuvent diminuer la probabilité de retour au travail.

Et pour ce qui est des freins propres à la femme et au cancer dont elle a souffert ?

BP : Les effets secondaires des traitements, le manque de soutien de la famille, des proches, la détresse émotionnelle, représentent des freins. Il faut aussi que les patientes aient suffisamment confiance en elles et se sentent capables d’y retourner. La capacité de la patiente à s’adapter aux soins, à la maladie, aux effets secondaires des traitements compte aussi pour beaucoup.

Ça revient à beaucoup de paramètres…

BP : Selon une étude que nous avons menée avec des médecins généralistes, oncologues, patientes, managers… nous avons identifié 62 facteurs qui peuvent prédire le retour au travail.

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Les effets secondaires des traitements pénalisent aussi le retour au travail

Vous avez cité les effets secondaires aux traitements comme des freins au retour à l’emploi. Quels sont-ils ? Commençons par la chimiothérapie.

BP : La chimiothérapie peut générer une très grande fatigue (physique, cognitive, émotionnelle), durable et variable dans le temps, pouvant aller jusqu’à plus de 5 ans après le diagnostic. En outre, la chimiothérapie induit une modification de l’image de soi – perte de cheveux. Certaines patientes craignant le regard des autres, attendent d’avoir l’air « moins malade » pour revenir.

Et concernant l’hormonothérapie ?

BP : L’hormonothérapie peut également générer des douleurs articulaires rendant l’exécution d’un travail physique, du port de charges lourdes notamment, plus complexe. Ces difficultés, pour ce type de poste, sont également observées chez les femmes ayant eu un curage ganglionnaire provoquant des limitations articulaires du bras. Un temps de réhabilitation est nécessaire avant de penser au retour au travail.

Concernant l’image de soi, la mastectomie n’est pas non plus anodine.

BP : La mastectomie joue aussi mais avec les techniques de reconstruction immédiate, il y a du mieux de ce point de vue. Mais oui, les femmes doivent réapprendre à vivre avec un nouveau corps et là encore, c’est le regard des autres qui est parfois difficile quand on revient au travail.

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« Le bon moment, c’est le moment de la patiente »

À partir de l’annonce du diagnostic, quand faut-il penser au retour au travail ?

BP : Le bon moment, c’est le moment de la patiente. Et là encore, c’est très variable. Mais nous préconisons de l’évoquer dès le début des traitements, afin que chaque patiente sache qu’elle peut demander un accompagnement de retour au travail dès qu’elle le souhaite. Il faut aussi que les patientes sachent que plus tôt la médecine du travail est au courant du diagnostic, mieux sont mis en place les dispositifs de retour au travail au sein des entreprises. L’acteur clé entre l’hôpital et l’entreprise est le médecin du travail, plus tôt il est prévenu, mieux c’est.

Ce retour doit se faire de manière très progressive, en fait…

BP : Il faut aussi savoir que de nombreuses femmes ont besoin d’un accompagnement pluridisciplinaire, d’une phase de réhabilitation, qui peut prendre du temps. On essaie de motiver les patientes à en parler le plus tôt possible non pas pour les remettre au travail le plus rapidement possible – d’ailleurs le retour au travail ne doit surtout pas être une injonction – mais pour avoir un temps de réhabilitation optimal sur le plan thérapeutique et professionnel.

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« Les employeurs et managers sont plutôt de bonne volonté »

Les entreprises sont-elles à la hauteur de ces enjeux ?

BP : De façon globale, les employeurs et managers sont plutôt de bonne volonté. Ils veulent aider, mais ce n’est pas leur métier. Très souvent, un manque de compétences et de connaissances nuit à un retour serein. Il faut éduquer les employeurs et les entreprises. On va dans le bon sens, notamment grâce à l’INCa qui a mis en place un club des entreprises, des associations de patients qui œuvrent contre la désinsertion professionnelle, et les centres de lutte contre le cancer comme l’ICO qui proposent des interventions au sein des entreprises pour accompagner et former les managers.

Les patientes qui retournent au travail doivent le faire en bonne santé, mais aussi rester en bonne santé.

BP : Le tout n’est pas de revenir mais plutôt de revenir de façon durable. Si le travail n’est pas thérapeutique pour la patiente, l’objectif n’est pas atteint.

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« Certaines patientes en arrêt ont besoin de garder contact avec l’entreprise »

Les actions de l’entreprise sont au premier plan pour un retour réussi ?

BP : Le rôle de l’entreprise est important à tous les stades du parcours de la patiente. A l’annonce du cancer, on sait que son absence sera longue et l’entreprise doit pouvoir l’accompagner et la rassurer dès ce moment-là. Certaines patientes, pendant l’arrêt, ont besoin de garder contact avec l’entreprise. Un collègue référent ou une collègue référente prend le temps de prendre des nouvelles et d’en donner. Et pour la préparation du retour au travail, le manager doit faire preuve de flexibilité, accepter que la patiente soit autrement elle-même, avec souvent une philosophie de vie qui a changé, qu’elle a besoin de travailler différemment et qu’elle en fera surement moins au début.

L’ICO prépare un accompagnement sur-mesure ?

BP : Exactement. Il faut pouvoir informer et coordonner les acteurs hospitaliers, en ville et au sein de l’entreprise. Pour ça, à l’ICO, nous mettons en place le poste de coordinateur.rice hospitalier.ère de retour au travail. Il s’agit d’une nouvelle fonction hospitalière qui n’existe pas aujourd’hui en France, qui ne remplace pas le travail des travailleurs sociaux mais accompagne la patiente durant son parcours de réhabilitation vers un retour au travail en santé qui se veut durable.

En quoi consiste un coordinateur hospitalier ou une coordinatrice hospitalière, précisément ?

BP : Ce professionnel fait le lien entre l’oncologue, le médecin généraliste, la médecine du travail, les managers et accompagnera chaque patiente jusqu’à 6 mois après le retour au travail. L’objectif est de pouvoir réaliser les ajustements nécessaires, vis-à-vis des besoins de réhabilitation de chaque patiente et d’accompagnement des employeurs, en accord avec la patiente, ce en coordonnant divers acteurs (médicaux et professionnels) y compris les soins de réhabilitation afin d’aider la patiente à revenir au travail et de s’y maintenir tout en protégeant sa santé.

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Avec Destination Santé.

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