Les promesses de l’IA en santé pour améliorer le dépistage

L’équipe du département de pathologie du CHUM travaille dans un silence studieux pour analyser des prélèvements d’organes effectués sur des patients.

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La synthèse vocale, basée sur l’intelligence artificielle, permet de générer un texte parlé à partir d’un texte écrit.

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La synthèse vocale, basée sur l’intelligence artificielle, permet de générer un texte parlé à partir d’un texte écrit.

L’équipe du département de pathologie du CHUM travaille dans un silence studieux pour analyser des prélèvements d’organes effectués sur des patients.

Ce service, peu connu du grand public, est pourtant d’une importance capitale. En effet, les chirurgiens prennent régulièrement leurs décisions en fonction des résultats obtenus par les pathologistes, précise notre guide, la Dre Bich Nguyen, chef du département.

L’analyse peut même avoir lieu alors que le patient est encore endormi sur la table d’opération. Par exemple, si une tumeur cancéreuse a été détectée par l’équipe de la Dre Nguyen, l’opération peut se prolonger.

La rapidité de décision exigée dans ces circonstances est facilitée par le recours à l’imagerie numérique et à l’intelligence artificielle. Seulement 10 % des services de pathologie à l’échelle mondiale bénéficient, comme le CHUM, d’un tel équipement.

C’est très facile d’aller chercher une image sur mon ordinateur, ça prend une fraction de seconde, explique la Dre Nguyen, en nous montrant une tumeur maligne sur l’agrandissement d’une image d’oesophage.

Les docteures Catherine Sweeney et Catherine Larose prélèvent des échantillons d’organes au département de pathologie du CHUMPhoto : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Ces échantillons d’organes conservés grâce à des techniques histologiques sont numérisés puis analysés à l’aide de l’intelligence artificielle Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Échantillons d’organes fixés sur des plaquettes avant d’être envoyés à la numérisationPhoto : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Agrandissement d’un échantillon d’œsophage au CHUM Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Sa technologie s’appuie sur la méthode de l’apprentissage profond (deep learning, en anglais). Elle permet aux algorithmes de détecter des anomalies plus rapidement que l’oeil humain, même bien exercé. Par la suite, les pathologistes examinent attentivement chaque événement signalé par l’intelligence artificielle.

Depuis quelques années, Bich Nguyen a donc délaissé son microscope pour un écran d’ordinateur, ce qui lui fait gagner beaucoup de temps. Elle estime que les 20 pathologistes du département économisent ensemble une quinzaine d’heures par jour, ce à quoi il faut ajouter des gains de près de 25 heures pour le personnel du laboratoire.

L’intelligence artificielle en pathologie promet énormément. Elle promet l’efficience, une plus grande précision de diagnostic et la facilité de redistribution du travail.

Une citation de La Dre Bich Nguyen, chef du département de pathologie du CHUM

Bich NGuyen pense toutefois qu’il faut encadrer rigoureusement le développement de l’IA, au premier chef parce que chaque population de patients a ses propres caractéristiques et qu’elles ne s’appliquent pas forcément à d’autres contextes.

Autrement dit, les données de patients nord-américains ne peuvent automatiquement être utilisées en Asie et une application non pertinente pourrait entraîner des approximations dommageables pour la santé.

Elle déplore par ailleurs l’apparition des banques d’images en ligne de piètre qualité qui risquent de produire de mauvais algorithmes. Là aussi, il y a un risque d’erreur médicale. Il faut que ces algorithmes soient développés avec des médecins spécialistes, tranche-t-elle.

Flavie Lavoie-Cardinal est professeure adjointe au département de psychiatrie et de neurosciences de la Faculté de médecine de l’Université Laval.Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Observer des galaxies de neurones

Toujours plus petit, toujours plus précis : l’alliance entre les algorithmes et l’imagerie numérique promet bien d’autres innovations.

La chercheuse en neurophotonique Flavie Lavoie-Cardinal a par exemple bon espoir de percer les secrets de maladies du cerveau grâce à son imposant microscope à super-résolution.

Cet outil intègre des éléments du télescope spatial, comme Hubble. Il lui permet d’observer dans les moindres détails les synapses, soit la zone de communication entre les neurones. Et, fait étonnant, les images numériques des réseaux de neurones évoquent celles d’une galaxie.

Les techniques d’analyse d’images développées en astrophysique sont spécialisées pour détecter de toutes petites structures difficiles à voir, ce qui est le cas des synapses, explique la chercheuse, dans son laboratoire du Centre de recherche CERVO à Québec.

Ces images de synapses rappellent les gros plans de galaxies captés avec des télescopes. Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Des recherches récentes laissent penser que les maladies neurodégénératives, comme la maladie de Parkinson, trouvent leur origine dans les synapses.

Flavie Lavoie-Cardinal a donc recours à l’intelligence artificielle pour concevoir des techniques d’analyse d’une précision jamais vue, afin de détecter les anomalies causées par les maladies. Pour cela, il faut avoir recours à une montagne de données qu’un esprit humain n’est pas capable d’analyser.

Selon son hypothèse, un algorithme pourrait y parvenir.

C’est un projet à long terme et l’obtention de résultats probants demeure incertaine. Mais, à terme, elle souhaiterait détecter la présence d’un risque élevé de maladie neurodégénérative afin de traiter le patient avant même l’apparition des premiers symptômes.

Jumeau numérique

L’imagerie médicale mobilise la plupart des efforts pour concevoir des algorithmes comme assistants à l’aide au diagnostic, mais elle n’est pas la seule voie en cours d’exploration.

Basée à Québec, Biotwin est, par exemple, l’une des rares entreprises du monde à développer le concept de jumeau numérique, affirme son président-fondateur, Louis-Philippe Noël.

Louis-Philippe Noël, président-fondateur de Biotwin, entreprise basée à Québec.Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Un jumeau virtuel, précise-t-il, c’est une copie d’un individu. Depuis trois ans, cet entrepreneur a collecté des tonnes de données médicales à partir d’échantillons de sang, de salive et d’urine appartenant à plus de 25 000 personnes.

Son outil est axé sur l’observation des molécules de métabolites. Il y en a près de 400 000 dans le corps humain. C’est une base de données avec un potentiel énorme de biomarqueurs qui peuvent avoir une grande signification, poursuit-il. Et le défi est de les faire parler.

C’est à cette étape qu’interviennent les algorithmes conçus pour faire des recoupements entre une multitude de facteurs. Ce charmeur de métabolites a obtenu ses premiers résultats dans les domaines de la nutrition et du sport de haut niveau. Biotwin conseille ses clients pour optimiser leur perte de poids ou leurs performances sportives.

Au moyen de plusieurs partenariats avec des universités, l’entreprise s’attaque maintenant à la détection de maladies graves, comme les cancers. En suivant l’évolution des biomarqueurs, elle oeuvre pour que son outil soit en mesure de repérer différents indices et idéalement, détecter un cancer au stade 1.

Arnaud Droit est professeur agrégé au département de médecine moléculaire de la Faculté de médecine de l’Université Laval et chercheur au Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval.Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Pour perfectionner son prototype de jumeau numérique, Louis-Philippe Noël collabore, entre autres, avec le chercheur Arnaud Droit, professeur de bio-informatique à l’Université Laval. Lui aussi est un maniaque des algorithmes. Il alimente le modèle de Biotwin avec des données de protéomique (protéines).

Plus on a d’informations, plus on va être précis dans nos modèles de prédiction, explique-t-il. On travaille aussi avec des médecins spécialistes qui sont très intéressés par nos informations. L’intelligence artificielle va leur apporter beaucoup de facilité pour analyser toutes ces données et améliorer leur évaluation des patients.

Le défi de rentabiliser les investissements

La collaboration s’avère justement un élément essentiel pour assurer un développement efficace des technologies, note Catherine Régis, professeure à la Faculté de droit de l’Université de Montréal et spécialiste des questions de santé et d’intelligence artificielle.

Elle a constaté plusieurs situations où les investissements, notamment publics, n’ont pas donné les résultats escomptés. Il arrive que les outils ne correspondent pas aux besoins des travailleurs de la santé. Ils s’avèrent même parfois trop performants. Dans d’autres situations, on manque tout simplement de personnel pour assurer la saisie des données.

Catherine Régis, professeure de droit à l’Université de Montréal, coprésidera le groupe de travail sur l’IA responsable jusqu’en 2024.Photo : Amélie Philibert

Si on veut que ça profite à tous les citoyens, il faut s’assurer d’avoir des retombées concrètes, soutient-elle. Et pour cela, il ne faut pas négliger le cycle complet d’intégration d’une technologie. Si on n’investit pas là-dedans, on va perdre de belles occasions et de l’argent.

Or, à l’heure actuelle, elle note que les investissements sont davantage dirigés vers le développement, aux dépens de l’intégration.

Une dynamique constatée également par la chercheuse Myriam Lavoie-Moore, de l’IRIS. Pour les besoins d’une étude, elle a examiné plus d’une quarantaine de projets d’IA en santé liés à l’imagerie médicale, au Québec, en partenariats publics-privés. Elle constate elle aussi que les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous.

Imagia a par exemple obtenu 49 millions de dollars du fédéral pour la création d’une banque de données d’imagerie médicale pancanadienne. Sauf que l’entreprise s’est depuis mise sous la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

Mme Lavoie-Moore se désole de l’opacité qui règne autour du dossier. On n’a aucune idée de ce qui s’est passé avec l’argent public ni de ce que va devenir le projet, se désole-t-elle.

Myriam Lavoie-Moore est chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS).Photo : Courtoisie

Dans son étude, elle affirme que des entreprises en intelligence artificielle nouent des partenariats sans considération réelle pour l’amélioration du système de santé public, mais plutôt avec l’objectif de promouvoir des produits destinés à appâter des investisseurs privés.

L’objectif final est de faire gonfler la valeur de leur entreprise, avec l’idée de la revendre au plus offrant. Autrement dit, une logique de jeune pousse qui rêve de se faire acheter par Google ou Microsoft.

Selon Catherine Régis, il ne faut pas abandonner la recherche fondamentale pour autant, mais effectivement, la prudence est de mise quant à l’utilisation de l’argent public.

L’arrivée de l’IA apporte de nombreux changements et des promesses intéressantes, conclut la Dre Bich Nguyen. Mais, selon elle, si puissants soient les outils, ils vont devoir en tout temps être conçus et manipulés par des professionnels aguerris qui sont des spécialistes dans leur domaine.

 

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