Le parti au pouvoir au Sénégal se dirige vers une majorité écrasante au Parlement et les Sénégalais attendent à présent que le président et le Premier ministre s’en servent pour soulager leur quotidien et appliquer l’agenda de rupture et de justice sociale qui les a propulsés au pouvoir il y a huit mois.
« Le Sénégal va mal (dans) tous les domaines », dit John Mendy, restaurateur, dans une rue du centre de Dakar au lendemain des législatives. Avec la majorité annoncée au Parlement, les dirigeants « ont tout ce qu’il faut, ils n’ont (plus) d’arguments » derrière lesquels se retrancher, insiste-t-il, « Les Sénégalais les attendent (dans) tous les domaines ».
Les électeurs ont donné dimanche au Pastef les trois quarts des sièges de l’Assemblée nationale, selon les projections de différents médias à partir de résultats partiels provisoires.
Comme de tradition au Sénégal, les électeurs ont prolongé l’élan de la présidentielle de mars, quand la soif de changement après trois ans de crise économique et de confrontation politique, et l’aspiration à une autre gouvernance confiée à une nouvelle génération, ont consacré le duo Bassirou Diomaye Faye – Ousmane Sonko.
Le placide Faye, élu président bien que dénué de toute expérience exécutive, a nommé Premier ministre le bouillant Sonko, président du Pastef, qui aurait été à sa place si sa candidature n’avait été invalidée. Les analystes mettent la « razzia » des législatives au crédit de M. Sonko, qui aurait désormais les coudées franches pour commencer à mettre en oeuvre son projet.
Pendant huit mois, la paire Faye-Sonko a mené une cohabitation conflictuelle avec une Assemblée dominée par l’ancienne majorité.
M. Faye l’a dissoute dès que les délais constitutionnels l’ont permis, en septembre, provoquant les législatives anticipées de dimanche.
La radio RFM crédite le Pastef de 119 sièges sur 165, la plateforme citoyenne Vie publique de 129, et le site d’information Dakaractu de 131 députés.
Les organes électoraux ont jusqu’à mardi soir pour publier les résultats officiels provisoires au niveau des départements.
Le quotidien gouvernemental Le Soleil titre sur « la déferlante Pastef ».
« Sénégal Moy Sonko » (« le Sénégal, c’est Sonko » en wolof), écrit le journal Le Quotidien, pourtant critique du pouvoir, détournant le slogan avec lequel le Pastef a convaincu les électeurs à la présidentielle que voter pour Bassirou Diomaye Faye, c’était comme voter pour M. Sonko.
– « Tout le monde attend » –
L’opposition, dispersée, serait laminée. La coalition Takku Wallu Sénégal de l’ancien président Macky Sall ne décrocherait que 15 mandats de députés, selon les projections des mêmes médias.
L’opposition a fait campagne en reprenant à son compte le grief formulé par un certain nombre de Sénégalais selon lequel, pendant huit mois, M. Sonko a beaucoup parlé et peu agi. L’intéressé s’en défend en arguant de l’état dans lequel lui et M. Faye ont trouvé le pays, et des multiples résistances à son ambition de changer les pratiques et le système.
Pape Diagne, commerçant, est « vraiment content » des résultats de dimanche. Mais l’exécutif doit maintenant se mettre au travail, dit-il dans une rue de la capitale. « Y a les filles qui attendent, y a les garçons qui attendent, y a tout le monde qui attend ».
M. Sonko est jusqu’alors resté silencieux.
« Le peuple sénégalais nous a accordé un vote de confiance sans équivoque. Il ne nous reste plus qu’à nous retrousser les manches pour transformer notre pays en profondeur et le sortir définitivement de la pauvreté », a écrit sur les réseaux sociaux l’ancienne Première ministre Aminata Touré, haute représentante du président.
Le coût de la vie est une préoccupation majeure pour la population. Le chômage atteint plus de 20%, et plus durement encore les jeunes. La moitié de la population a moins de 19 ans.
Les nouveaux gouvernants sont à leur tour confrontés à la vague de ces centaines de compatriotes qui partent chaque mois en pirogue chercher un avenir meilleur en Europe.
Les comptes publics sont dans le rouge.
L’exécutif est attendu sur les multiples urgences immédiates et sur les nombreuses promesses qu’il a faites au nom d’un « panafricanisme de gauche »: vote du budget 2025, abrogation d’une loi d’amnistie contestée ou, au-delà, transformation de l’Etat et de sa justice.
Le quotidien L’Observateur cite aussi parmi « les dossiers chauds qui attendent la 15e législature » le vote d’une loi durcissant les peines contre l’homosexualité.
Les analystes s’accordent sur le fait que M. Sonko est maître du jeu. Davantage encore qu’auparavant, « c’est Ousmane Sonko qui va continuer à dicter la façon de diriger le pays », plus que le chef de l’Etat lui-même dans un système pourtant considéré comme hyperprésidentialiste, dit l’enseignant chercheur El Hadji Mamadou Mbaye.
Le chef de l’Etat « n’a cette légitimité d’être président que grâce à Sonko », juge-t-il.
publié le 18 novembre à 18h20, AFP